L'Humus des Mots

In this section you will find photographs that L’Humus des Mots, writing workshop by Valérie Chevalier (Toulouse, France), has selected from my Facebook page and published on her wall, accompanied by very inspiring words. 

Elle a quitté sans regrets les cercles d'agitations, leur inconséquence. Elle a tiré un trait sur ceux de ses amis, qui l'ont abandonnée. La douleur l'a polie, décapée. Elle a désappris les élans, les enthousiasmes, les espoirs de compréhension. Elle est dans l'essentiel, à l'écoute du battement originel. Elle a pardonné à ceux qui se détournent de sa lente solitude. Elle découvre que sa vie est cassée, que pour la réparer, il faudra de la patience, de l'acceptation. Ailes confisquées, elle claudique, maladroit oiseau au sol. Sur les braises encore chaudes, elle va. Il faudra du temps pour que viennent les cendres, puis la poussière qui damera les aspérités du chemin. Elle ne comprend pas les tenants et aboutissant de ce désert sous ses pas entravés. Elle ne perd pas courage, elle est juste fatiguée. Elle est heureuse que des très proches, peu, aimants, dispensent sur ses heures meurtries, leur eau fraîche.

Ile Eniger, in L'exil, in Les marelles de verre - (à paraître)

Que l’innocence demeure
qu’il lui soit donné de pouvoir se perdre dans l’inutilité de ce monde
qu’elle soit suffisamment forte pour oublier de le clamer
que dans son silence où elle éclaire il n’y ait pas d’obstacle à son silence
qu’elle soulève ce monde las et danse dans sa poussière
que son sourire de fleur soit à jamais inscrit sur mes lèvres lorsqu’elles
deviendront givre
qu’elle soit l’innocence à jamais
Que d’aucuns puissent s’en saisir qui voudront sauter hors du bourbier
qu’elle soit ; ce que de toujours l’affirme ce dialogue de terre et de ciel à
l’écart des chemins imposés
qu’elle soit cette folie, suffisamment sourde, receleuse de source pour que
tant de soifs s’y abreuvent.
Amen.

Pierre-Albert Jourdan, Prière, in Le bonjour et l'adieu - Éditions Mercure de France

 

Les fêtes intimes d’une amitié éprise du même langage, la marche côte à côte sur le sentier des étangs où chacun suspend son pas aux rumeurs amoureuses des oiseaux.

Louis-René Des Forêts, in Ostinato - Éditions Mercure de France

 

J'ai entendu un jour à la radio parler du phénomène de la timidité botanique qui m'a soudain captivée comme une chose qui me concernait de très près : certains arbres dans les forêts limitent la poussée de leurs racines ou de leurs branches quand ils sentent, au moyen de l'émission d'un gaz, qu'un autre arbre est en train de pousser à côté d'eux. L'arbre en se restreignant ouvre une « fente de timidité » pour que la lumière pénètre mieux l'ensemble de la forêt. Je crois que dans toute famille nombreuse s'installe un phénomène de timidité botanique, avec beaucoup de gens qu'on veut à la fois écraser et ménager : parents, frères, sœurs, oncles, tantes, ancêtres...

Nathalie de Courson, in A bout - éditions isabelle sauvage

 

J'écris peut-être pour maintenir l'ouverture de la source, même si je ne peux pas la découvrir. Ce que j'appelle parole n'est rien de plus que les harmoniques d'un accord juste, le plus juste possible. Ce n'est pas pour parler que j'écris, mais pour entendre, ou plutôt, être capable d'entendre. J'accueille dans sa nudité douloureuse ce qui est sans nom et sans figure. Entre nous il n'y a aucun lien, mais une liaison qui ne devrait pas exister, et qui existe cependant : cela même qui refuse de se manifester est pourtant l'origine de la manifestation dans sa totalité. Il faut que le don accueille le don et que le silence remercie la parole, le silence qui est à son tour remercié.
Mes paroles aimeraient être une pure coïncidence. Car mes paroles vont à la rencontre de ce moment inouï où l'inconnu se retourne dans la vive transparence d'un contact subtil. Ce qui produit les choses, le monde, et qui n'est rien de ce monde, et cependant qui n'est pas en dehors de lui, ce que je ressens en même temps comme présence et absence, crée la plénitude d'un visible transparent qui s'enracine dans l'invisible. Et pourtant je ne pourrai jamais dire que je l'ai rencontré. La rencontre est toujours impossible, problématique, incertaine. Je sais néanmoins qu'elle n'adviendrait pas si je n'écrivais pas. J'écris en essayant d'entendre la rumeur de l'inconnu. Ce que j'écris dépend de cette relation ténue à quelqu'un d'invisible qui attend et supplie. C'est donc ce que j'écris qui rend possible la rencontre, le dire diaphane de l'altérité. J'écris, et ce que j'écris ne mène nulle part. Les mots sont pauvres, blancs, transparents. Peut-être qu'ils sont une silencieuse irradiation du vide. Mais c'est ainsi que je m'approche du dieu inconnu.

António Ramos Rosa, in Le dieu nu(l) - Éditions Lettres Vives

 

Terre inquiète aux lèvres d'eau
Qui chuchote un chant d'automne
Dans sa gorge de roseau

Gérard Bocholier, in Abîmes cachés - L'Arrière-Pays

 

Notre défi invisible, ce sont des carnets écrits presque au jour le jour, des notes, des bouts de phrases, des dessins sur papier, admirateurs zélés de la vie qui passe, meurt, naît, ressuscite, s’efface, rejaillit, tremblante, démoniaque, heureuse. Et cela dans l’admirable silence du mouvement, des rythmes infinis. Vivre est la danse d’un funambule. Je m’accorde à penser que je ne suis que pour très peu dans cette sorte d’amoncellement que je n’appellerai jamais un Journal, tant cela est plutôt le fruit d’une force qui me pousserait pour continuer à aller sur les routes, à traverser des versants, à disparaître dans des combes, des sous-bois, pour rejaillir enfin à la tombée du soir quand les dernières bêtes rentrent aux étables, plutôt qu’une œuvre, fût-elle de rêverie. Aux livres, j’ai souvent préféré la belle palpitation du monde et suis allé au dehors pour amasser toute la chaleur du soleil, sa bonté inouïe. J’ai flâné longtemps sans jamais me lasser de cette contemplation peu ordinaire, les hommes étant plutôt requis aux durs travaux, bien qu’eux aussi aient sans aucun doute rêvé une autre vie. Leurs visages sont sans mensonge. Les plis de leurs yeux disent la vérité. Sous ce ciel, il y a trop d’injustice et cette injustice soulève en moi des tempêtes. Ce chant massif, je l’entends. Cela vous donne, si j’osais ce mot, une sorte de responsabilité, d’humilité à l’égard de chaque phrase, de chaque être que vous fûtes un jour amené à croiser.

Joël Vernet, in Carnets du lent chemin - La rumeur libre Éditions

 

Encore, vole

C'est un matin de fronde. Tais-toi mes mots, ne te perds pas aux encensoirs, aux critiques, aux chemins balisés. N'oublie pas la traverse. Ne te pends pas aux ramilles d'hiver quand le regain t'invite sur la page d'à côté. Ne t'oublie pas aux pas lourds quand tes akènes trépignent d'envol. Tais-toi mes mots si tu rapièces un consensus quand l'unique de toi est affranchi depuis longtemps. Si tu t'ignores quand tu dédales aux lacis d'agitations certifiées. Ne te souviens-tu plus des sillages d'outardes qui te semblaient si proches, des feux de feuilles aux jardins partagés, du tulle de la joie quand tu savais les anges de mémoire ? Tais-toi mes mots si ta voix s'alourdit, si les ombres t'emmuraillent, si tu casses comme du petit bois, si tu as besoin de clés. Tais-toi si dire se résoud à remâcher. Se résoud à ressembler. Souviens-toi mes mots, le soleil dans tes paumes, la phrase qui s'embrase. Le temps qui s'écrit sans que tu le comprennes. Le mystère qui chante aux paroles d'oiseaux. Encore, vole. Le reste est sans importance.

Ile Eniger, in Les mains frêles - À paraître

 

C'est l'an neuf sur le petit jardin carré. Pluie sur les planches, pluie sur l'herbe très verte, sur le buisson de fleurs blanches qui résistent à l'hiver. Un vent léger secoue les lampions délavés, vestiges jamais ôtés d'une fête d'été. Hors la rumeur de la pluie sur les toits de zinc, le silence élargit l'espace, étire le temps.

Olivier Barbarant, in Un grand instant - Éditions Champ Vallon

 

Mais je vous parle depuis des contrées où la peau n’est pas frontière. On y peut faire naître la licorne qui va brisant les lacs dans les fourrés. Les flancs se couvrent de pelage. On a un papillon dans la poitrine. Et un envoûtement vous a voué au vent.

清酒石, in Le coquelicot appétissant (3/3)

 

Suppose

Que près de toi mes jours
Aient un cours trop rapide

Et que je te demande
De faire de mon temps

Un temps de végétal
Pas pressé de fleurir.

Eugène Guillevic, in Bergeries, in Autres - Gallimard

 

Sur la margelle du soir
Se perche le gréement de l'herbe

C'est l'heure 
Où les ombres vont boire

Lionel Gerin, in ô saisons, ô photos

 

Amphisbène

Dans l’innocence des forêts, je sais la paille des sexes, les eaux pillées, la mort ciseleuse et le creuset des îles ; je sais les momies, l’éclair sur qui les sclérose ;

je les sais altérées aux frontières de l’exil
là où les mots s’estompent

Et je déflore perfore reperce remodèle expulse extirpe expire
exulte
éclate




Je vous salue les asséchés les vibrants les criards
sous l’insulte des feuilles et des fileuses de fiel


Mes amantes
mes absentes
mes belles amères
mes femmes armées

Mes déchirantes
Mes déchirées d’inépuisable et insatiable puits
Mes légendes

Adieu méduses mes feux mes mondeuses

Adieu ma déesse
adieu ma déesse nue

Ici s’achèvent mes serments en miettes

Je ne laisserai de mon sillage ni paille ni écume

Raphaël Monticelli

 

               , à la vitre les feuilles ont l’air d’un ennui vrai, avant même que ta phrase jonche alentour, un visage constelle ma part, un silence a lieu, lent seuil du soir parmi les récits, le bougé des robes après les jeux, depuis la boue le rêve n’a plus cessé de construire autour, les nuques pales prennent le jour, et devant pas un regard pour témoigner, le vent aux abois dresse une clôture, je disperse, dans la friche à l’ordinaire, une clavicule, un idiome, le vent porte le fruit dans sa vacance, le fond n’a pas de nom, une eau après l’autre qui s’appelle on ne sait, le sang fait les frais, c’est le son des billes dans le couloir, longer l’arbitraire, donner son ventre à la battue, l’appel d’une ligne inconnaissable, quelque chose de débarrassé, le lieu traverse les pores, les affluents se jettent, un vent pense à la mort, ma peau le dit, une plaie accourt vers le début, peu suffit dès lors qu’aux artères la fuite est versée, c’est ouvert, le chemin parsemé à l’envers de l’eau, un diapason vibre vers ce regard, c’est noir, rien ne comble le peu déporté de phrase en phrase, c’est dans le plexus que la mort prend la parole, il reste des ares pour la joie, il reste des hautes herbes venues de loin, un sang qu’on froisse et qu’on essore, peu de marbre à nouveau, les dates s’amoncellent, un détroit fait le mort, où vont les jours et mon orgasme, la certitude me pétrit depuis la mort, la crampe d’un matin allongé dans l’impasse, une contraction des muscles, une coïncidence, à peine la vie qui s’épanche dans l’aorte, l’enseveli chante à chaque tranchée révélée, la mort à l’œuvre dans l’ajour, tu cherches ne sais quoi, à l’odeur de cuivre, des gestes encombrés d’avenir, l’enjeu d’une attirance pour la venue, c’est à deux pas des précipices, au fondement des élans, j’y reviendrai avec la voix dans la main, tendue vers l’essor des herbes folles, j’avance encore dans ma retenue, sur les berges de ce qui passe, des corps avec la mort en guise de ventre, nulle génération pour que cesse un sémaphore, un ravin défait mes yeux, le soleil dans l’exténuation, ma parole gisante à même nos sueurs, les oiseaux peut-être, une tournure de phrase, c’est manger la voix qui se dépose au matin, les mains mortes de chagrin, sous les ombres devenues mères, les herbes ont jauni parmi les phrases laissées-là, dans la trachée du soir, des émotions précèdent le moindre caillou, la même ferveur à l’issue, une tension n’a pas d’aveu où s’amoindrir, c’est ouvert sur les éboulis qu’entre nous creuse un versant, notre jour jeté au plus près des dates et des noms, dans la main d’un avenir voué à ta mort, comme source qu’une errance lance dans le si peu sûr, des voix, des joues, des feuilles traversent ce qui est évoqué, dans l’entrebâillement d’une phrase, les yeux amoindris par l’une ou l’autre lumière, montrent un iris à marée basse, une étendue jambes ouvertes, le jour a posé sa main de fatigue, et le delta se perd en lui-même,

Julien Boutonnier, in Des ares pour la joie

 

Assez de couteaux, de machettes,
d'outils tranchants
dans mes poèmes,
il est temps
d'entourer ce qui blesse
d'un linge épais,
du lange inutile
où l'on serra le nouveau-né
autrefois
en un janvier froid.
Déposons le tout
en haut de l'armoire
et fermons la porte
pour laisser venir
les mots de feuilles et de prairies,
de rivières et de lacs,
où la parole s'ébroue
en gouttes scintillantes
où les mains se posent
sur des soirs paisibles.

Danièle Corre, in Ce qui nous fonde

 

Feuillante

Te connaître
Et te perdre
Ma claire ma confuse
Passagère d’une main étoilée
Feuillante –

J’aime la brassée soudaine qui inonde notre soif
Dans les profondeurs aperçues de la halte
Retrait culminant du poème.

Dire
Brusquer l’éclaircie
L’étendre jusqu’au prisme.
Dans les noeuds du bâton
Existe un pays que tu ne saisiras pas
Chemin dévié par le bond.

Dérive intérieure du méandre –
Où demeurer ?
Le feu déborde le repas
Et sa cuisson –
Saison acérée
Intégrale des rives.

Thierry Metz, in Poésies 1978-1997 – Pierre Mainard

 

Nous recevons notre portion d’infini. L’art de vivre ! A-t-on jamais écrit quoi que ce soit de mémorable sur ce sujet ? Par quelles disciplines nous procurer au mieux la vie, quels soins apporter à nos pensées ? Observer ce qui transpire, non pas dans la rue, mais dans mon esprit et dans mon coeur ! Je ne me souviens d’aucune page m’expliquant comment passer cet après-midi. Je ne souhaite pas savoir comment économiser mon temps, bien plutôt comment le passer et le dépenser, par quels moyens m’enrichir, pour que ce jour n’ait pas existé en vain. (7 septembre 1851)

Henry D. Thoreau, in Pensées sauvages – Éditions Le mot et le reste

 

Rien n’est de trop si je consens à la petite écoute intense

Jacques Jouet, in Poèmes de métro – P.O.L  

 

Il repleut pleut re-
pleut ha les effaçures
aux soirs aux matins la lumière
ténuement qui s’opacifie
à l’entrelacs le guingois des ganivelles
aux jardins et taillis buées d’os

Henri Droguet, in Désordre du jour – Gallimard

 

LE PONTON

C’est là que je viendrai
Te retrouver la nuit
Sur cette boîte arrime
Cet incertain en barque
Jetée de mille rêves flottants
Vissés aux poutrelles des sentiments
C’est la rime des chercheurs de nord
Elire les eaux ou le bord

Valérie Chevalier

 

Il eût souhaité rester s’émouvoir
d’un rien
d’une mousse
vers le soir qu’hiver rouille

Pascal Commère, in Prévision de passage d’un dix cors au lieu-dit Goulet du Maquis – Obsidiane

 

Malgré la langue
il n’y a pas de poème

sans arrière-pays

Yvon Le Men, in Parfois l’oiseau, in Chambres d’écho – Rougerie

 

LES CINQ LOIS DE LA NATURE

I
Il n’existe pas cinq lois de la nature.

II
Toutes les définitions sont dans l’erreur.
Demandez à un arbre ou à une pierre.

III
Dans les situations les plus simples, un nombre
infini de lois inconnues sont à l’oeuvre.

IV
Le silence et Dieu sont les produits du néant.

Howard McCord, in Ecouter les cartes (et autres poèmes) – http://www.cequireste.fr/

 

TIERCE

Branle et chambard orgue
à gloire hercynien et rabâchant
mâcheur le vent rous-
caille au cul désidéré
du ciel qui brinqueballe écru
engoncé d’après-pluies
échues et pisseuses
dans l’aube à bourbe tourbe et cendre
l’incolore soleil incinère
des paluds mitoyens faucardés
férocement bossue la morne
eau s’éver-
tue vitreuse sur du roc
Hâtez-vous rebelles promeneuses
aux ponts bleus des hivers
voyez pourpres les roseraies voyez
fleurs à la neige et vergers
d’argent les saules
foudres noires volez
aux inouïes steppes à libellules
fanfares et chamades

Henri Droguet, in Off – Gallimard

 

l’horizon ouvre l’œil
comme une soie qu’enflerait
un souffle d’entrailles

Antoine Choplin, in Tectoniques

 

Écrire sans casser le silence. Écrire, en violation d’un lieu qui se retire : quadrature du texte, visage désencerclé, non-lieu… La rapacité du vide, le calme, — étonne ses proies…

Jacques Dupin, in Une apparence de soupirail

 

Nous avons besoin de petites voix, nous avons besoin de pariétaires dans les anfractuosités des vieux murs.

Paul de Roux, in Au jour le jour, 4, Carnets 1985-1989

 

NOTAIRESSES

Des femmes aux craquantes robes de soie
causent dans le chemin ;
les insectes de l’été
se sont pris dans les balayeuses de leurs robes ;
leur voix est grêle
leur buste fourni
et leurs mains toutes petites ;
la plus pure porte un bouquet de digitales sur son coeur.
Elles n’ont guère plus de vingt ans
et sont pourtant des femmes de notaires ;
avec leurs éventails nacrés
et leur enfance qui s’en va
elles ont déjà posé dans la dorure du siècle ;
le premier corset déposé
dans la chambre à deux
leur laissa un souvenir brûlant
puis il leur devint bon
de frissonner dans une longue chemise
tous cheveux répandus
alors qu’au-dehors sévissaient les tornades
faisant tomber les pommes des hautes branches.

Jean Follain, in Usage du temps

 

C’est une nuit de lisière entre le poème et l’eau
Une nuit de roses arrachées au soleil
Un jour de grand large
Un matin de terre noire et de prénoms livrés au vent
Un midi inutile à force d’être blanc
Et un soir qui découpe les visages au couteau
La nuit revient mentir avec les corsages
Et la lisière frissonne avec les roseaux
Qui festonnent l’été amer
Et marient l’orange et la faux

Lionel Gerin, in Saisons de l’été

 

Il n’y a qu’un remède à l’amour : aimer davantage.

Henry David Thoreau, in Journal

 

Je parle de ce qui ne parle pas,
des muets témoins,
des loutres et des phoques,
des vieux hiboux de la terre.

Hans Magnus Enzensberger, in La fin des hiboux

 

Il faudrait du blanc, beaucoup de blanc, un blanc léger… Ou non, un blanc froid surtout, froid, c’est cela, pas glacial, ceci dit, juste froid, assez froid pour refroidir les esprits échaudés, aussi bien à peine froid certainement et pas trop froid, pas un froid qui morde, par exemple, ni qui pince non plus, frais peut-être suffit, un blanc frais comme sont les draps frais, mais un peu moins caressant, sans doute, un peu moins enveloppant, moins matériel ou moins dense, moins compact ; juste solide, ferme, résistant, sans rien pour la température et la texture qui se fasse trop remarquer. Que ce soit seulement blanc et qu’il n’y ait rien de plus à en dire : pas de place pour d’autre idée que celle de blanc. Blanc, très complètement, continument, consciencieusement blanc, blanc qui occupe tout. Pas du tout un blanc vide. Un blanc tout à fait positif, même si la différence n’est pas très perceptible, il nous faut cela pour avoir l’exacte saveur du blanc, un blanc positif en badigeon, des murs peints en blanc, au rouleau, sans une trace de pinceau.

Noëlle Rollet, in Blanc

 

Tout est loin, ou alors rien n’existe,
si rien ne peut se caresser.

Ramón Sampedro, in Faux-semblant

 

Habitants délicats des forêts de nous-mêmes.

Jules Supervielle

 

FAIRE DE L’EXERCICE

Faire de l’exercice sur le terrain de football
m’est conseillé par tel ou tel.
Sport pour jambes rapides,
dois-je donc m’élancer avec le ballon
dans un match avec des joueurs alertes ?
Ô misère, comme l’âge me contracte les genoux
et a mis avec sarcasme des poids
comprimant mes épaules si bien que je me traîne.
Pourtant j’aime le chemin en escalier, entouré de buissons,
pourtant j’aime suivre le ruisseau,
pourtant j’aime franchir le pont,
et lentement comme une ombre
je vais et suis satisfait
de mes lenteurs
n’éprouvant aucune jalousie
quand je vois un sportif
prompt comme l’éclair.

Johannes Kühn, in À qui appartient ce long cortège de nuages blancs ?

 

L’AUBE POÈME

Un chien hurlait doucement
Et dans le ventre de ce cri
Craquèrent les chaussures
Du premier passant
Les premiers craquements de la campagne
Chantèrent comme des milliers de petites bougies
Et un lourd vaisseau d’oiseaux
Rasa de son ventre la ville
Et bondit en l’air en grondant
Mais voici vraiment le matin
Les brumes séparent encore les collines
Le ciel remonte à son vaste poste
Et les couleurs excessivement roses des toits
Oh ! sont toutes prêtes à m’aider à la joie

Pierre Morhange, in La vie est unique

 

LENTEMENT MONTE LE VRAI

S’éveiller et sentir
son cœur défaillir,
lourd comme une pierre, noir
et bientôt dur…

Lentement se lève la houle,
lentement rougit la forêt du ravin,
lentement s’approchent les feux de l’enfer,
lentement monte le vrai…

Olav H. Hauge, in Bateau de papier

 

Je n’étais pas loin de croire qu’il y avait dans ces lisières quelque chose d’insolite, pas une légende inventée, mais un renversement de tout éclairage connu, un regard qu’il suffit de porter selon un angle qui révèle une autre vision, j’entends bien à jamais autre. Une divergence essentielle.

André Dhôtel, in Lointaines Ardennes

 

Il suffit de poser le oui bien à plat devant soi, sur la table
ou la page, peu importe, un oui en forme de fruit, de
pas-grand-chose, bouquet de fleurs, d’éteules, miettes de
nuages sur un buisson, grain de blé, brin d’herbe, un oui
qui ne se voit pas, qui ne croit en rien d’autre que lui-même,
décision simple, geste intérieur, comme aller au-devant,
ouvrir grand les portes, les fenêtres, la phrase ensuite s’occupe du reste.

Dominique Sampiero, in L’idiot du voyage

 

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